05/07/2012

Pour une meilleure relation avec Bixi

La crise a commencé au coin de Fairmount et Hutchison. Plus de Bixi à la station. Encore. Je me demandais à quand remontait la dernière journée où notre flotte de bicyclettes écolos ne m'avait pas scié la patience en quatre, n'avait pas provoqué chez moi de violents accès de rage très audibles autant pour le gars du service à la clientèle que pour les gens appeurés m'esquivant sur les trottoirs. En toute honnêteté, je ne me souviens pas d'une seule journée où tout avait roulé entre moi et Bixi cette année.

C'était si différent l'été dernier. Une lune de miel. J'avais troqué mon vélo de route vintage pour ce service qui me rendait fier d'être écolo et Montréalais. J'arrivais à une station, il y avait des espaces libres et des vélos disponibles. À l'arrivé, c'était le même scénario. On avait peine à croire à ce système à la fine pointe de la technologie qui contrôlait de complexes opérations de transferts pour maintenir cet équilibre vélos/places libres si fragile. Lorsque je voyais aller ces pick-ups dans les rues de Montréal, je levais mon chapeau à leurs conducteurs et j'affichais un sourire rayonnant. La vie était belle en compagnie de Bixi.

On avait un système génial, qui fonctionnait, et j'allais payer tous les dollars que mon maire exigerait pour en bénéficier. J'avais entendu parler des difficultés budgétaires que connaissait Bixi à l'occasion du débat sur ses commanditaires dont les intérêts ne sont pas parfaitement alignés sur ceux de la planète -Rio Tinto Alcan pour ne pas les nommer. Mal nécessaire, pragmatisme, répondaient ceux qui envisageaient le scénario pas si rose à venir.

Voilà, le scénario s'est concrétisé, les pragmatiques n'était pas que des prophètes de malheur. On part maintenant à la chasse aux Bixis comme on le fait avec les oeufs à Pâques. Sauf que la quête n'est pas une partie de plaisir, et ça peut être très long. Par exemple, lorsqu'on a fait plus de la moitié de son trajet à pied pour se trouver un vélo, c'est que quelque chose ne fonctionne pas. Souvent, Bixi saura user de toute une gamme d'attrapes malicieuses pour vous donner l'impression qu'il y a bien un vélo pour vous. Il y a les pneus crevés (le plus fréquent). Il y a les bornes qui refusent votre carte, alors même que le service à la clientèle ne comprend pas le problème puisque votre clé d'abonné est bel et bien valide. Et puis les guidons peuvent être brisés, les sièges impossibles à verouiller.
Aujourd'hui marquait la première fois où j'ai chiâler contre "le système" et "les élus". Ce genre de grognements aux cibles imprécises n'est pas dans mes habitudes. J'ai eu l'impression de rejoindre un bassin de concitoyens auxquels je ne m'étais jamais identifié. Ils sont, hélas, majoritaires dans la Belle Province à lire un seul journal, à regarder ses images abondantes, à lire ses gros titres. Je fais partie du camps qu'ils n'aiment pas, j'habite tout près du quartier qu'ils maudissent avec une jouissance inquiétante. Et pourtant, comme eux, j'en avais après notre ville qui n'est pas foutue de nous donner un service convenable. En grognant, je les entendais se plaindre du service de santé, de nos routes et j'en passe.
Peut-être que c'est ça dans le fond qui explique la popularité de certaines idées de droite. Être fâché contre quelqu'un qui fait mal sa job, qu'on ne connaît pas et à qui on aura jamais la possibilité d'expliquer sa détresse. C'est très humain souffrir seul et ne pas savoir à qui s'adresser pour régler le problème. Le vertige qu'on peut ressentir lorsqu'on constate le vide qui nous sépare du "système"... Comme le montre l'étude de cas que vous venez de lire, il en faut très peu pour qu'on s'ouvre aux sirènes qui alimentent nos grognements. Une fois l'engrenage enclenché, une petite poussée de l'extérieur de temps à autre suffit pour garder notre colère en santé.

La création est thérapeutique, c'est indéniable. On n'a qu'à écrire pour que se dissipent anonymement dans les Internets les sentiments malsains qui nous habitent. Pollock lançait de la peinture sur ses toiles, Éric Duhaime s'en prend à Xavier Dolan, qui lui fait des films.

Le sage est celui qui n'entraîne personne dans sa colère, celui qui sait rester impassible lorsqu'on l'encourage à se fâcher et qui respire lorsqu'il cherche son Bixi. Défis immenses, mais à la portée de tout bon humain.