16/04/2013

Du terrorisme

Le marathon est une invention de fou, un excellent moyen de canaliser sa colère. La sensation du fil d'arrivée, je souhaite que tout le monde la vive. Moi j'ai pleuré en entrant dans le Stade Olympique il y a trois ans, la première fois. Il y a plus. Le marathon est une affaire de proches, de famille. Un formidable mélange de fébrilité, d'excitation, de réjouissance, de soulagement, et de douleur bien sûr. Tu vis tout ça avec les gens qui t'aiment et qui t'acclament à la ligne d'arrivée. C'est un peu comme revivre la fois où, enfant, tu présente ton spectacle sur lequel tu as travaillé fort toute l'année. C'est cette magie-là qui fait qu'autant de personnes décident de souffrir autant.

Les marathons c'est aussi une grosse fête. Il n'y a pas vraiment d'inconnu. Tout le monde est tout sourire. Tout le monde se parle avant, pendant et après. La douleur et le triomphe rapprochent les gens. Entre fous, on se comprend. Mieux, on s'aide. En novembre dernier à Philadelphie, quand j'ai décidé d'arrêter de courir au 35e kilomètre, une femme dans la quarantaine s'est précpitée pour me donner du sucre, du jus, n'importe quoi pour que j'aille mieux. Ma mère qui était à 10 mètres aurait pu détourner le regard, j'étais safe. Les événements sportifs comme le marathon nous rappellent que l'indifférence habituelle qui caractérise nos rapport avec les autres peut parfois céder la place à l'entraide, qui est tout aussi innée à mon avis.

C'est quoi au fond trois morts? Un de plus que les noyades qui se sont produites à Bordeaux en fin de semaine, où deux vacanciers ont péri dans les eaux trop puissantes de la Gironde. C'est probablement moins que le nombre de personnes qui tombent sous les balles de la guere civile syrienne en un après-midi. Ou en Irak, en Afghanistan, ou dans tous les pays dont on ignore les souffrances.

Pourquoi Obama n'a pas parlé de terrorisme dans son discours d'hier? Vrai, il n'y a pas de consensus à propos d'une définition. Mais peu importe de qui il s'agit, c'était terrorisant. On s'en est pris à quelque chose de très beau, à une partie de notre innoncence. Des gens qui courent pour le plaisir et pour se dépasser. Il me semble que ça devrait s'appeler du terrorisme.

09/04/2013

On recule pas

Des mots pour nous rappeler la modestie qui ne devrait jamais quitter notre esprit. Newtown, Fukushima. Moins dramatique. Obama (quoique). Plus techno. Facebook. On se moque volontiers de nos prévisions.

Ce n'est pas le Joker qui avait dit ça dans le deuxième Batman, quand il s'adresse à Harvey Dent sur son lit à l'hôpital? Nous avons une tendance pathologique à vouloir contrôler ce qui est inconnu, le futur par exemple, et nous sommes plus confortables quand nos trajectoires obéissent à ce qu'on avait anticipé. Pourtant un invité se faufile toujours, et d'habitude, il est énorme. Il change absolument tout. C'est la loi de la vie, aussi rude que celle de la jungle.

Si l'on pense à ce site qui accapare l'existence de plusieurs par exemple, qui depuis quelques années est en voie de créer un deuxième Internet en parallèle. Vous essaierez, juste voir, de décrire 2013 à un extraterrestre sans évoquer les médias sociaux. Dans l'hypothèse où il y a véritablement de la vie ailleurs que sur terre bien sûr. Qui avait prédit tout ça? Ni Jules Verne, ni aucun universitaire doué d'une intuition de boule de cristal. Non, vraiment personne n'aurait pu s'approcher de ce qu'est notre réalité toute postmoderne s'il s'était risqué à la décrire il y a quelques années. Facebook a tout changé, vraiment.

Et puis il y a la politique. Les partis ont des programmes, ils ont encore l'audace, pour certains risible, de faire des promesses. Et puis paf! Une tuerie. Une autre. Pire que dans les pires cauchemars, pire que dans les scénarios des films les plus sordides. Les priorités changent: "Ouais, disons qu'on va attendre avant de lancer notre politique de subvention aux égouts qu'on avait promise aux États du Midwest."

Les priorités changent, la vie est bouleversée. Parlez-en aux Japonais du premier paragraphe, ou aux chargés de cours qui commençaient leur nouvelle carrière universitaire à l'hiver 2012. La vie, à défaut de trouver une meilleure expression, a d'autres plans pour tout le monde. Elle n'avertit jamais personne.

Doit-on alors se construire un bunker anti-ouragan/fusil/facebook/dictateur-nord-coréen? Non, franchement, on a déjà eu peur de cette façon-là. Des gens ont compris avant nous qu'il fallait continuer de vivre malgré le fait qu'on a cette épée de Damoclès, ce couteau sur la gorge en tout temps. On doit composer avec cette effroyable certitude que rien n'est acquis, certain, que l'on a que "Ça va bien aller " pour se rassurer.

Comme ils disaient, on avance, on avance, on recule pas.

31/01/2013

Le gouvernement de la télé

Radio-Canada a déjà été un nid de souverainistes. Contractant la fièvre qui s'emparait des États-Unis dans les années 50, certains ont même accusé la société d'État d'abriter des méchants communistes à l'époque. Peut-être que c'est cette impression qu'auraient eu les Conservateurs en regardant la table ronde du Téléjournal de ce soir s'ils n'avaient pas été au pouvoir. Parce qu'il y avait quelque chose comme un front commun contre l'éloignée conservatrice, seule dans son écran de soixante-dix pouces, qui était palpable parmi les commentateurs de la gauche, du Devoir et du Parti libéral. Michel, Liza et Anne parlaient la même langue, et Tasha le chinois.

C'est peut-être d'abord et avant tout un "axe" qui reposait sur des chiffres, des données, ou tout simplement des arguments, contre une rhétorique qui sonnait faux. Tasha me rappelait par moment le lieutenant conservateur du Québec qui avait essayé ses figures de patinage artistique en entrevue à RDI. Anne-Marie lui avait répondu avec un rire léger mais glacial qu'il n'avait pas répondu à la question.

C'est peut-être aussi Céline, impeccable, qui hochait parfois de la tête en écoutant parler ses collègues sur le plateau en face d'elle et qui renvoyait la balle à la messagère du parti au trône. Après tout, elle devait être sensible au sort des chômeurs touchés par la réforme du régime d'assurance sociale, celle qui avait couvert des conflits en Afrique, qui avait porté le foulard pour ses reportages en Afghanistan. Quoi qu'il en soit, la situation crevait l'écran.

L'ironie, cruelle, réside dans le fait que Tasha est bel et bien la porte-parole de ceux qui nous gouvernent. Cette scène démontrait toute l'absurdité de la situation politique au Canada en 2013. Une quantité très importante de citoyens préfèreraient n'importe qui -Lino Zambito?- à la tête du gouvernement au robot qui est place depuis...plusieurs années. Et pourtant.

Le réflexe serait de dire que "nous avons les gouvernements qu'on mérite". Absolument. Mais pointons autre chose que nous, juste pour faire différent. La machine qui enfante des Stephen Harper, on parle ici de plusieurs choses abstraites comme la difficulté d'être représenté par un parti, notre mode de vie qui engourdit nos habitudes de citoyen, le système politique, médiatique, bref le système, enfante des hommes comme Stephen Harper, qui n'est qu'un poisson dans l'eau, le meilleur de tous. On doit saluer en ce sens la performance de politicien qu'il nous offre. Son gouvernement est franchement téméraire lorsqu'il teste les limites de notre tolérance. Les festivités commémorant 1812, par exemple, étaient fanchement un exploit de mauvaise communication politique. Mais bon, il y avait la tragédie comique à la ville de Montréal et un lock-out.

Espérons qu'Hubert d'Occupation double tiendra sa promesse de faire le saut en politique,  et qu'il saura me convaincre que je n'ai rien compris à ce qui se passe. Après tout, le cynisme est un fléau. Il est grand temps qu'un concurrent de la télé-réalité se lève pour nous inspirer à nouveau. Tasha se sentira moins seule.





22/01/2013

La peur du déluge

Lorsque Dieu s'est manifesté et que l'on a annoncé le retour de notre sport national au début de 2013, je n'avais aucune idée que le hockey du mardi soir Coors Light allait provoquer en moi autre chose que de la fébrilité, surtout pas cette émotion vive avec laquelle je viens de renouer, une "sensation dans la région" comme dirait l'autre. Tout à l'heure, RDS dédiait son reportage à Richard Garneau, rejoignant l'ensemble des témoignages élogieux qui avaient fait le spin médiatique des derniers jours.

À l'annonce de sa mort, j'ai retrouvé un sentiment qui m'a habité à plusieurs reprises dans ma vie de jeune adulte. Une admiration pour les Anciens qui nous quittent, doublée d'une crainte qu'ils emportent avec eux des valeurs à jamais perdues. C'est comme si regarder parler Richard Garneau me renvoyait en pleine face les travers de notre époque. Notre narcissisme démesuré. Nos penchants commorbides pour l'instantanéité et la facilité.

Je me découvre un côté conservateur. L'excellence ne compte plus pour les gens de mon âge. Être pessimiste, je dirais que nous sommes une génération perdue qui produit de la télé-réalité, des chefs improvisés et des retweets. À l'âge où Xavier Dolan tourne de longues publicités Nike sur son mal-être, Marie-Victorin peaufinait sa connaissance de la botanique en vue de l'écriture de son encyclopédie. J'exagère juste un peu.

Sont-ils vraiment derrière nous ces Anciens? Ceux qu'on voit dans les extraits de télévision des années 60 qui parlent un français riche et impeccable. Jacques Godbout, Bernard Derome, Gilles Vigneault et les dizaines d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit spontanément. Ou alors c'est ça le piège du conservatisme, des grognements face à ce qui vient, une nostalgie fondée sur un passé en partie inventé.

"Cette époque est la nôtre et nous ne pouvons vivre en nous haïssant" a dit un jour Albert Camus, probablement avec un grand soupir de soulagement après une séries de journées difficiles. Peut-être que Xavier Dolan a une vision profondément singulière, qu'il donne carte blanche à son intuition et qu'on devrait lui pardonner certains excès. Quant à la programmation du canal Zeste, si ça fait des soupers créatifs dans les chaumières québécoises les soirs de fin de semaine, qui s'en plaindra? On apprécierait seulement un peu de travail au niveau des onomatopés qui viennent combler les lacunes de vocabulaire.

On sera donc mesuré dans nos propos, qui peuvent parfois prendre les raccourcis du fatalisme. Si l'on souligne autant le départ de M. Garneau, c'est peut-être le signe que nous connaissons encore la valeur qu'ont l'humilité et la passion authentique chez un être humain. S'inquiéter de leur disparition me semle être un signe de santé collective. Le grand déluge de la modernité attendra.