20/12/2014

Un classique?

La notion incontournable de "classique" est emblématique du conservatisme de la communauté hip-hop. Pour ceux qui préfère Gilles Vigneault à Wacka Flocka Flame, un classique est un album intemporel, à la différence qu'il revêt une signification un peu différente dans le monde du hip-hop. Pour se voir attribuer le titre de classique, il faut s'inscrire dans la lignée des grands, et surtout ne pas  trop s'éloigner du sentier. Les premiers classiques, qu'on a présomptueusement nommé ainsi quelques années seulement après leur parution, sont issus d'une période de temps très courte, entre 1989 et 1995 (si on tourne les coins ronds). Et ces classiques font l'objet de conversations qui ont tourné à vide il y a longtemps tellement elles s'étirent indûment. On les vénère, on regarde en arrière. On dirait presque un débat sur la souveraineté. Le classiques du rock, par exemple, sont parus sur une période qui s'échelonne des années 50 à....2014!

Le classique est à un point tel une mesure étalon qu'il constitue la côté maximale dans la sections critiques de disque d'un des magazines les plus respectés du monde du hip hop, le XXL. Autre exemple révélateur, parmi tous les styles musicaux disponibles dans iTunes, seul le hip-hop est doté d'une sections à part entière consacrée aux "classiques". On y trouve les premiers albums de Dr. Dre, de Jay Z, de Tupac, de Notorious BIG et j'en passe. Ah les classiques!

L'obsession du classique témoigne du conservatisme qui règne dans le monde du rap. Ce conservatisme se manifeste aussi à travers la réception d’œuvres  transgressives du genre. Kanye West est le chef de file de cette transgression. Ses envolées lyriques brillantes séduisent beaucoup plus les amateurs de musique tout genre confondus que les amateurs de hip hop. C'est du moins le cas pour ses disques les plus ambitieux musicalement. West a fait des petits qui eux-aussi bouleversent leur monde, sans avoir l'impact qu'ils devraient avoir. Face à ces oeuvres, de qualité inégale, c'est vrai, des centaines d'internautes s'envoient prommener dans les blogues à propos de la question: "Est-ce que c'est du hip-hop". C'en est pathétique. En les entendant, on pense au Concile Vatican II, ou pire, aux chicanes entourant la véracité de la théorie de Galilée.

Le temps est venu pour que le monde du hip hop arrête de regarder constamment dans le rétroviseur. Qu'il sorte de son grenier empoussiéré. 

Note: un deuxième texte en gestation sortira sous peu. On verra que ce conservatisme, il s'explique par l'Histoire. Bennn oui, cette fameuse Histoire qui nous indique toujours pourquoi on en est où on en est.


19/12/2014

Un 19 décembre à Côte-des-Neiges


À Côte-des-Neiges, le 19 décembre à l'heure du midi, le quartier déborde d'étudiants qui viennent de terminer l'école. Se dégage d'eux une énergie chaude et enrobante qui gagne le combat contre le froid qui perce les manteaux Canada Goose trop courts des étudiants français. On les trouve au Kabab par exemple, à se bourrer de poulet shish taouk à la sauce à l'ail.

Les étudiants, qu'ils soient de Brébeuf, de Notre-Dame ou de l'UdeM, ont des sourires légers, contents du poids qui vient s'enlever de leurs épaules. La liberté totale des vacances d'hiver. Ils se le font dire souvent mais n'ont pas encore compris que ce type de liberté ne se vit qu'à leur âge. 

On croise 5 gars et une fille de Notre-Dame assis à une table de picnic en plein milieu d'une plaine de neige irradiée par la lumière blanche. Ils sont là seuls dans le froid, avec les yeux rapetissés par le joint qu'il fument pour célébrer le début des vacances. La drogue qu'ils fument, que tout le Québec fume, incommensurablement plus puissante qu'avant, fait des ravages autant qu'elle fait vivre des moments de vie sublimes à ses consommateurs
Ces 6 là sont très, très biens. Ils ont un petit rire et un capuchon sur la tête. 

Plus loin, on croise une dame de 50 ans, une Veuve Clicquot à la main, l'orange de la bouteille qui scintille grâce au soleil éclatant. Pressée, comme tout le monde, sauf les jeunes qui ont fini l'école. 

L'Oratoire ne bouge pas d'un centimètre. Il est souverain. Quelques centimètres de neige s'accrochent audacieusement à son immense dôme vert. L'oratoire veille sur le quartier qui tombera bientôt dans la noirceur impitoyable de décembre. 

Plus tard, on verra au coin des rues Gatineau et Lacombe les étudiants du HEC, de la Poly ou des sciences humaines faire des allers retours entre le Tabasco bar et La Maisonnée. Ils auront froid parce que, trop saouls, ils ne fermeront pas leurs manteaux pour fumer leur cigarettes. Ils boiront des quantités impossibles d'alcool. 

La faune nocturne disparaîtra au milieu de la nuit glaciale. Certains seront seuls dans leur lit, d'autres rentreront avec leur conquête de la soirée.

Puis, le lendemain, les adultes reviendront faire leurs courses, poursuivre leur vie sur  la rue Côte-des-Neiges. Tandis que les jeunes auront mal à la tête, les vieux perdront la leur en essayant de terminer leurs achats de Noël. 

Les vrais vieux, eux, continueront à vivre leur vie plus lente, plus saine, avec leur cane ou un panier pour porter les courses, en jetant un coup d'œil de temps à autre sur l'oratoire St-Joseph qui veille sur eux, qui veille sur leur quartier.