27/09/2010

On est jamais aussi universel que quand on parle de soi-même

Trop petite pour le monde, trop grande pour le Québec. C'est de cette manière qu'Urbania avait qualifiée Montréal dans le numéro spécial qui lui était consacré.

La géographie de notre province se résume grossièrement à une asymétrie, celle entre les régions et la "Grande ville". On dira qu'il y a Québec, en osant beaucoup Trois-Rivières, mais rien ne se compare véritablement à la réalité montréalaise, à l'effervescence de ses rues et de ses quartiers. Le fameux conflit conflit identitaire qui en découle, dit-on, est non seulement réel, mais inévitable. Il est vrai qu'on est toujours le produit de son environnement; la rue Laurier et le cinquième rang façonnent le même enfant de manières complètement différentes. Ce que je comprends moins c'est comment notre background peut avoir une emprise assez forte sur notre identité pour empêcher qu'on puisse se comprendre malgré nos différences. J'entends des poings de fédéralistes se crisper.

Excepté quelques individus qui alimentent et capitalisent sur un ressentiment qui serait autrement marginal, la déchirure québécoise, comme certains aiment la décrire, n'est rien de plus qu'un dialogue parfois difficile à établir. Cette fausse impasse se manifeste souvent au niveau culturel. Par exemple, le chanteur de Kaïn, suite à une critique négative de La Presse l'année passée, affirmait que son groupe représente les préoccupations des gens des régions, auxquelles la ville tourne le dos avec condescendance. C'est en entendant une telle réaction qu'on réalise qu'il s'agît de chicane plus que d'un réel conflit identitaire. En effet, cette revendication a comme une odeur de repli sur soi-même, d'amertume envers les snobs qui ne comprennent rien à leur musique, voire qui boudent leur propre plaisir.

Ce que j'ai trouvé réconfortant cette semaine, c'est une critique d'un spectacle de Jonathan Painchaud du Devoir et celles, unanimes, du dernier film de Robin Aubert. Elles ont enlevé de mon esprit les derniers doutes qui gardaient en vie l'idée de ces différences insurmontables. Je ne suis pas un fan d'Okoumé ni de son ex-chanteur, et je n'ai pas encore vu À l'origine d'un cri. Je sais seulement à quel genre d'univers on a affaire: des chansons aux textes simples, un film qui ne fait ni dans le cérébral ni dans l'expérimental. Vous me pardonnerez les clichés, ils ne font que servir mon propos. Les deux artistes sont honnêtes, parlent de ce qui les habitent sans être racoleurs. Ce sont des artistes, un point c'est tout. Leur message n'a pas besoin de représenter qui que ce soit. Ils sont la preuve que la qualité et l'intégrité font aisément disparaîttre la chicane que d'autres se plaisent à inventer.

20/09/2010

L'audacité de s'affirmer

En 1967, en 1976, il s'agissait de mettre un m majuscule à Montréal. Ne plus être ce petit point anonyme au nord de New-York sur la carte, tel était l'objectif. Plus qu'une question de gros sous ou que la seule entreprise d'un mégalomane, il s'agissait du nouvel acte de ce désir d'émancipation qui s'était emparé de tout un peuple depuis quelques années. Le stade a poussé, une île a émergé, on a fêté, appris, applaudi. C'était le début d'un temps nouveau.

Jouer dans la cour des grands voulait aussi dire pour Montréal de se mettre au diapason des métropoles nord-américaines qui vouaient un culte à l'automobile. En concevant les villes comme leurs subordonnées, il était logique de défigurer des quartiers entiers avec des boulevards dont la ligne d'horizon qui s'étendait à l'infini rappelait le Sahara. À chaque époque sa définition du progrès. L'écosystème du Montréalais est aujourd'hui ce qui se faisait de mieux...il y a un demi-siècle.

Montréal a besoin d'idées fraîches comme la chanson de Renée Claude est mûre pour être remixée. Outre le fait de répondre à des impératifs écologiques, la revitalisation de notre ville est une manière de se rappeler que l'utile peut rimer avec le beau et que le commode n'empêche pas l'inspiré. Il s'agît d'avoir de l'audace et d'y croire, pas d'une conviction d'utopiste. Une échelle plus humaine, des transports intelligents et une revalorisation du design ne sont pas que des tendances d'urbanistes écolos. C'est ce qui a fait la réussite des villes que l'on veut visiter, et sait-on, peut-être, où l'on ira s'établir. C'est ce qui fait qu'on est bien là où on habite. J'aurais aimé qu'on fasse confiance aux idées rafraîchissantes qu'avait Projet Montréal.

Ce qui était vrai durant la Révolution tranquille l'est tout autant aujourd'hui. Encore une fois, il est bel et bien question de se lever pour affirmer notre identité. Seulement qu'en 2010, le Bixi a remplacé la Chrysler, les espaces piétonniers, l'échangeur Turcot. Sommes-nous trop paresseux, comme l'a dit Marie-Claude Lortie, pour redonner à Montréal une âme, la sienne? Ne sommes-nous pas des créateurs, des hédonistes, des rêveurs? J'ai parfois l'impression qu'on se vautre dans l'évocation très confortable de la réussite de Céline et du Cirque du Soleil pour mieux se contenter de demeurer immobile ailleurs.

11/09/2010

Magazinage

Les magazines sont mon dada. En fait, ce sont les éditions spéciales des magazines consacrées à un sujet particulier que je ne peux m'empêcher d'acheter. Ce format permet d'effleurer un segment de l'Histoire, de pénétrer dans l'univers d'un personnage, ou encore de se poser des questions plus en profondeur. Malheureusement, le livre en prend un coup de nos jours en partie à cause de son frère cadet.

Je ne sais plus trop de qui est l'idée, mais la voici. Avec l'apparition des médias en continu, les journaux ont perdu leur monopole de relayeurs d'information au jour le jour, les poussant à se trouver une nouvelle raison d'être. D'où la métamorphose qu'a connue La Presse il y a quelques années. Les "grands" dossiers tels que "Trois nuits dans la peau d'un propriétaire de dépanneur" tapissent désormais l'espace qui était autrefois réservé aux simples nouvelles, quand ce n'est pas une publicité. C'est ce qu'on appelle la magazination des journaux. "Nivellement par le bas" est aussi approprié. Menacés, les magazines ont à leur tour répliqué en misant sur des numéros qui creuseraient un sujet plus en profondeur, allant ainsi jouer dans les plates-bandes de ce vestige du cambrien qu'est le livre.

Un calcul redoutablement juste. Nous évoluons dans un monde qui a horreur de la lenteur. Or le livre a le défaut de développer une idée, jusqu'au bout. Le magazine, lui, va à l'essentiel, synthétise. Pour quiconque a la curiosité affutée, dès lors, le magazine permet de bouffer un sujet beaucoup plus rapidement. Et de passer à un autre, et ainsi de suite. C'est -une partie de- l'histoire de ma vie. Une visite chez Multimags provoque à chaque fois une grave hémoragie dans mon compte en banque déjà leucémique.

***
Deux suggestions qui ne viendront pas déranger les livres, des magazines qui le sont restés:

1. Philosophie Magazine regorge d'articles pertinents, éclairants et tout à fait digérables. Combien de fois faudra-t-il le répéter, n'ayez pas peur de la philosophie. Le numéro de cet été, toujours disponible, demande s'il est possible de changer de vie. Les témoignages d'un avocat devenu psychothérapeute, d'un alcoolique sauvé par Nietzsche et d'un photographe de mode devenu moine sont renversants. Et François Julien, spécialiste de la pensée chinois, sur la fiction qu'est le choix de changer de vie:

Q: À vous lire, on a le sentiment que rien n'est moins chinois que l'idée sartrienne de l'acte radical qui engage une vie...

R: Je constate que domine, en Europe, une conception de la vie à partir de l'action, et donc de la liberté qui permet ce choix. Cela nous vient de la praxis des Grecs, de l'épopée, du théâtre. On a appris à isoler un segment de conduite qu'on appelle l'action, avec un début et une fin (...) (les Chinois) ont affaire à de la conduite, à de la régulation, à du cours. (...) il est rare qu'on prenne la mesure de ce long travail qui a eu lieu à notre insu et qui est de l'ordre de la nuance.

2. Changement de décor, Monocle célèbre les villes, l'urbanisme, le beau, le design, et le luxe, celui des nouveaux-très-riches. Petite mine d'or, ce magazine britannique fondé par un Manitobain contient aussi des reportages inusités, comme celui de cet hiver sur une entreprise japonaise qui crée des polices d'écriture que s'arrachent des dizaines de clients à travers le monde. Perfectionnisme et minutie prennent un tout autre sens suite à cette lecture. À découvrir.

08/09/2010

Schizophrènes

Nous sommes les cobayes d'une expérience psychologique dont on ignore les conséquences à long terme tous les soirs depuis soixante ans. Certains sont devenus blasés ou insensibles, d'autres s'en sont sortis indemnes malgré les stimuli auxquels on les expose. C'est que la gamme d'émotions que nous font vivre ces stimuli est si vaste qu'on ne peut qu'en sortir émotionnellement bousillé, confus dans le meilleur des cas. Nous n'avons pas été programmés pour gérer une situation semblable.

Ils s'appellent François, Céline, Jocelyne, Pierre, Bernard. Ils sont les protagonistes de cette expérience: les nouvelles. Tous les soirs, une succession d'images et de sons nous informe de ce qui s'est passé dans le quartier, en région, à Gaza. Succession qui souvent à des airs de déjà-vu, comme si un chorégraphe s'affairait en coulisse à rendre la chose un brin assomante.

Les nouvelles sérieuses, les mauvaises, occupent l'essentiel de l'heure. On nous montre d'abord l'horreur, l'incompréhensible, le triste, l'ennuyant, le scandaleux. La ligne éditoriale, c'est elle la responsable de la brutalité des premières minutes. Puis un peu d'espoir à la quinzième minute, une étude vantant les mérites d'un verre de vin rouge par jour. Mais nous sommes-nous remis des images d'Haïti d'il y a quelques instants? De notre colère envers ces malfrats qui siffonent "nos taxes" alors qu'on leur demande justement d'en faire l'usage le plus avisé. On continue. Voilà qu'après l'étude sur le vin, on passe au glamour. C'est Mahée Paiement...dans une entrevue exclusive qui sera diffusée après La poule aux oeufs d'or, elle avoue ne plus être sûre d'aimer Patrick Huard. C'est vraiment durant cette période de transition que vous saurez si la meilleure métaphore pour votre stabilité émotionnelle est celle de l'équilibriste ou de la barque dans un ouragan. Mahée et Zampino dans la même demie-heure? Tenez-vous bien, on prédit un mélange semblable pour demain.

Parlant de prédictions, la météo. C'est ce segment qui m'a inspiré ce billet. Ce fragment de gaieté partagée par la lectrice et la présentatrice météo est l'apex de la déstabilisation émotive entamée depuis le début de l'heure. La complicité des tandems Jocelyne-Céline, ou Pierre et Colette, c'en est trop... Encore incommodé par la digestion des événements de la journée, on nous achève avec l'incohérence que sont les probabilités de précipitations à Whitehorse, le tout avec le plus troublant des sourires.

01/09/2010

O.K. Boss

Rolland a les bras couverts de tatoos. Contrairement aux autres employés de la cuisine, certains hispanophones, d'autres jeunes talents à peine sortis de l'école d'hôtellerie, Rolland parle un français qui laisse croire qu'il n'est pas resté longtemps sur les bancs d'école. Il machouille les mots plus qu'il ne les prononce. Il est à mi-chemin de la cinquantaine, mais on pourrait lui donner dix ans de plus et être certain de ne pas se tromper. Ses membres et sa tête sont usés par le temps. Les soixantes heures de sa semaine de travail, il les passe cloîtré dans sa plonge, entre deux gratte-ciels d'assiettes et un bazar de verres et d'ustensiles sales. Rolland a l'âge de mes parents, qui travaillent non loin du restaurant situé au coeur du quartier des affaires.

Faire la vaiselle de cent vingt-cinq personnes est un métier ingrat, je n'apprends rien à personne. Les ustensiles sales baignent dans une soupe de Chianti, lait tiède et eau pétillante, le bruit, la chaleur et la vapeur sont accablants, le rythme, infernal. C'est un métier pour lequel on devrait se dépêcher de créer les premiers robots intelligents. Le poste de Rolland est la plupart du temps occupé par des Indiens, Maghrébins ou encore Sri Lankais qui n'ont pu trouver mieux en arrivant ici. Eh oui, ce n'est pas qu'un cliché. Qu'a-t-il fait pour n'avoir aucune autre option à son âge que de se retrouver dans pareille merde. Écorché par le jeu, un problème de consommation, ou simplement la vie qui n'a pas été généreuse avec lui? Sais pas. Une chose est sûre, on ne choisit pas ce métier-là. Surtout à son âge qui devrait être celui de l'épanouissement professionnel et d'un certain confort. Surtout quand on est entouré de gens fringants faisant quatre, cinq fois son salaire et ayant trente ans en moins.

Ce soir, Rolland m'a envoyé chier parce que je ne poussais pas les assiettes assez loin pour qu'il puisse les atteindre. J'en étais encore à apprendre l'abc du fonctionnement du restaurant, je n'avais pas toute mon assurance. Son sermon m'a un peu ébranlé. Sûrement que d'autres l'auraient à leur tour envoyé chier et lui auraient fait comprendre que c'est eux qui mènent. Ils n'auraient pas eu complètement tort. Seulement, moi, ça m'en aurait pris plus qu'à l'habitude pour marquer mon territoire. Parfois, prendre un coup même s'il est injustifié, ça peut s'apparenter à du respect.