30/04/2010

La concentration de Casseau

Mihaly Csikszentmihalyi, tout comme moi, a la
(mal)chance d'avoir un nom peu commun. Dans sa colonne qualités, en plus d'avoir la capacité de faire froncer les sourcils des gens en se présentant, monsieur C. peut se targuer d'être un psychologue renommé. Son oeuvre phare, Vivre: La psychologie du bonheur, n'est pas un livre de développement personnel comme on pourrait le penser. Je vais vous résumer les quelques trois cent pages en deux paragraphes si vous le voulez bien. C'est le genre de défi que je devrai relever si je veux devenir la prochaine sommité en journalisme.

On veut tous être heureux. En gros, c'est ça le but, non? Comment on fait? C'est ce ton pragmatique qui nous accroche dès les premières pages. Celui qui fait oublier les préjugés des sceptiques purs et durs de mon espèce. Étonnament, la réponse n'est pas la méditation, apprécier le moment présent ou faire un pèlerinage au Tibet. Thank God! La réponse c'est la concentration. Une denrée rare en 2010. C'est tellement mieux l'hyperactivité et la surstimulation. Une concentration, donc, qui nous fait oublier tout autour de nous. Mais cette concentration demande plus qu'un peu de volonté. Après tout, en se bottant le derrière, on pourrait être heureux juste en étudiant à condition d'y mettre un peu d'ardeur. Il faut trouver la tâche ou l'activité qui nous demande un effort autant qu'elle nous procure un buzz d'accomplissement. Autrement dit, une journée à La Ronde ne nous rendra pas plus heureux que d'étudier

Avant d'entrer dans les détails, un petit commentaire qui va vous réjouir. Tout le monde peut être heureux! De l'aspirant plombier au fonctionnaire de carrière. LE prérequis, qui est aussi LA question d'une vie, c'est de trouver sa zone de confort, sa vocation. Ça pouvait quand même pas être facile...Selon Monsieur C., la majorité des gens associent le bonheur à des situations qui les plongent dans une sorte d'état second, ce qu'il appelle l'expérience optimale ou Flow. C'est une sensation d'immersion totale, dans laquelle tous leurs talents sont solicités. C'est aussi exigeant que gratifiant. Une relation directement proportionnelle, voire exponentielle. La rencontre de l'effort et du buzz. C'est quand un séducteur redoutable cruise avec appétit. Quand un cycliste déterminé monte le col de la Pierre Saint-Martin. Quand François Pignon construit son Derrick Bo Derek ("37, Les tubes de colle, 37!"). Entre François Pignon et un séducteur redoutable, il y a un canyon, vous en conviendrez. C'est bel et bien pour tout le monde le bonheur.

Ce soir, j'avais comme projet d'être responsable, c'est-à-dire étudier et en être fier. J'ai décidé d'écrire pour deux raisons. Primo, je ne vis pas l'expérience optimale quand je lis sur la perte d'influence des acteurs étatiques dans le contexte du régionnalisme est-asiatique. Mon bac s'achève, courage...Deuxio, Jean Dion faisait hier une comparaison sur son blogue entre la performance des derniers jours d'Halak et celle de Patrick Roy en 86. C'est l'entrevue avec Casseau qui m'a rappelé le livre de Mihaly -le ptit nom de Monsieur C. si vous suivez. Patrick-E-Roy parle à plusieurs reprises de sa concentration lorsqu'on lui demande comment il a réussi à stopper autant de lancers. Canadien a gagné la coupe cette année-là, en grande partie grâce à lui.

Pour ceux qui sont moins portés vers la psychologie, le vidéo en vaut la peine.

29/04/2010

Petites vies

Moi, je vais prier pour mon marathon. Un concept brillant, pour compenser pour la stupidité de Martineau.

26/04/2010

Les sorties

De tous les traumatismes que j'ai vécus dans mon enfance, les sorties d'école sont parmi ceux qui ont laissé le plus de marque. C'est en visitant un château ennuyant plus tôt aujourd'hui que des blessures que je croyais pansées ont ressurgi. J'ai réalisé la chance que j'avais de ne plus être en cinquième année.

Dans la vie, il y a les choses que j'adore et les choses que je déteste. Jamais je n'ai douté -c'est rare- que les sorties de classe tombaient dans la seconde catégorie. Faire partie d'un troupeau d'enfants implique que les enseignants se comportent en dictateurs du départ en autobus jusqu'à l'ultime délivrance qu'est le retour à l'école. Tout ce qui se situe entre les deux n'est qu'un cauchemar interminable. Ptit-Charles veut voir ce qu'il y derrière le muret là-bas...NON, reste-s'a-track! L'obession du troupeau indivisible. Ptit-Charles a soif,...NON, boire, c'est dans une heure! Le troupeau. Ptit-Charles trouve sa plate ce qu'il dit, le spécialiste des hiboux...Tu t'assois sur tes fesses, tu te tais et tu écoute! Le...vous avez compris.

J'ai l'impression que la façon dont on traite les enfants en sortie c'est un gros mensonge. On les veut comme aucun adulte n'est capable d'être. En un mot, parfaits. Tantôt, quand j'ai eu soif, j'ai subtilement tourné le dos au très nébuleux spécialiste des hiboux pour aller m'acheter une bouteille d'eau. Quand j'en ai eu assez de visiter, je suis parti même si je n'avais pas pris le temps de lire tous les panneaux.

On réprime les besoins des enfants sous le prétexte de les éduquer, de les discipliner. Plus grave encore, j'ai l'impression qu'on se libère la conscience en les voulant mieux que nous. Si je me sens mal de ne pas avoir plus de curiosité face à un masque de chevalier du huitième siècle, lui il en aura.

Tout au long de l'école primaire, on apprend à se contenter de sandwichs au jambon rebutants, de crudités déprimantes et de salades de fruits insipides. On se dit que le ptit va prendre des bonnes habitudes, qu'il va grandir en santé. Mais dès que les cloches de l'adolescence sonnent, on se met à manger des BigMacs et de la pizza à profusion. Une réaction viscérale à la colère emmagasinée des lunchs sans inspiration. Les choses se calment un peu par la suite, mais la majorité des grandes personnes finissent par passer leur heure de dîner dans les food court. Et la roue tourne.

25/04/2010

Bientôt sur mes pieds




C'est bien meilleur quand tu le fais en solo

Avec l'ascension du Kilimanjaro et la pôle position au marathon de Montréal, voyager seul devrait faire partie de votre liste de choses à faire avant de vous retrouver six pieds sous terre. Si, à tout hasard, sur le tortueux chemin qu'est la recherche du sens de l'existence, vous pensiez que Le Secret ou Le Secret derrière le Secret vous donneraient des réponses, détrompez-vous. Voyager ne vous diras pas "Charles, tu es une personne solitaire" ou "Charles, tu es une personne sociable". Ni le noir, ni le blanc, ni même le gris ne sont appropriés quand vient le temps de décrire les gens. Faudrait inventer une couleur plus grise que le gris. Chaque épisode de notre vie nous permet de raffiner notre compréhension de soi et de l'Autre, nous aide à délimiter nos frontières. Le voyage en solo est un épisode en version concentrée. Un obstacle n'attend pas l'autre. Pour vous donner une idée, c'est un peu plus exigeant que de commander du St-Hubert en écoutant la télé échoué sur son divan. Certains diront qu'ils ne sont pas du genre à voyager seuls. Comment pouvez-vous être certains de détestez les aubergines sans y avoir goûté? L'intuition, me répondrez-vous. Moi j'ai adoré les sauterelles frites à Hanoi.

Trois moments qui sont au temple de la renommée de mes voyages en solo:

1. Le mal du pays: Automne 2006, Valence. Je connais six mots et demi d'Espagnol. Je débarque dans une famille qui semble ignorer l'existence de l'Anglais. Ils m'hébergeront pour les cinq semaines à venir. Leur malpropreté est déjà plus qu'apparente et la mère me dit que ma chambre ne sera prête que demain. J'hérite du lit de la ptite de cinq ans, qui n'a de place que pour mon torse ou mes jambes. Je commence à penser que l'hospitalité à l'espagnole, c'est de la bullshit. Ah oui, la compagnie aérienne a perdu mes bagages. On me dit que ça arrive tout le temps ici. Ah ben là d'abord, je me sens mieux! Il est treize heures, plus capable de lire mon foutu roman. Que faire! Je tremble à l'intérieur. Seul remède, une marche et la playlist Feelgood de mon ipod. En rentrant dans un café, je commande un café avec mon air de chien battu. On me répond "Que dice senior?" La barrrière de la langue, élément ultime de ma détresse. Tout est rentré dans l'ordre sauf la propreté de ma famille d'acceuil.

2. Staying Alive: Aéroport d'Hong-Kong, été 2009. Je récupère mes bagages à 23h15, mon avion du lendemain est à 9h. Je dois donc être à l'aéroport à 6h20. Prendre le train rapide aller-retour pour dormir quelques heures en ville ne vaut pas la peine. J'ai peur de m'endormir et de manquer mon vol pour Montréal alors je fais des tours de l'intérieur de l'aéroport en dansant en short-gougounes sur Michael Jackson et David Bowie avec mon charriot à bagages. Côté photographie, j'ai vécu une période de créativité intense. Mon environnement m'a inspiré un nombre impressionant de clichés. Ça a duré neuf heures. Titanic trois fois en ligne si vous préférez. Vers cinq heures, les Chinois aux yeux dans graisse de binne -ça fait des yeux très très très petits, faut le voir pour le croire- s'affairaient à ouvrir les Starbucks, Burger King et cie alors que je leur lançais des sourires de coké inquiétants. J'ai pas dormi dans l'avion, j'étais encore sur un high puissant.

3. Malchance: Zagreb, février dernier. Je dois me rendre à Ljubljana à partir de la capitale croate. Le Lonely Planet me dit qu'il y a sept trains par jour. J'apprends que Lonely Planet est dans le champ, il n'y en a que trois. Ok pas grave, "À quelle heure il est le prochain, madame croate?". "Yétait à 13h et le prochain est à 18h14, Charles". Il est 13h02. Ça fait vingt heures que je n'ai pas dormi. Tout ce que j'arrive à trouver pour calmer les bruits embarrassants de mon estomac déphasé, c'est trois brochettes de porc grillé dans un pain frit. La finesse de la gastronomie de l'Europe de l'Est...De retour à la gare en attendant le train, je fais la connaissance des B.S. alcooliques qui squattent la place en pètant et en fumant cigarette sur cigarette. Charmant décor post-communiste.

20/04/2010

Ça prendra pas beaucoup de temps...

...avant que Guru ne se retourne dans sa tombe. Est-ce que le hip-hop est en train de remplacer les Britney Spears, Justin Bieber et cie? C'est quand même frappant de penser qu'un tel mouvement soit devenu aussi mainstream en quelques années.

That's right, Steven Seagal, deputy sheriff.


Si jamais vous vous ennuyer du beau Steven. Paraît que ça va pas bien pour lui en ce moment.

18/04/2010

Je suis en amour

Tout a commencé à l'automne 2008. Télé-Québec diffusait une fascinante série documentaire sur le cinéma québécois. Au fil des épisodes, non seulement mon ignorance vis-à-vis notre riche patrimoine me paraissait de plus en plus alarmante, mais j'étais stupéfait par la quantité et la qualité de courts et long-métrages que notre petit peuple avait mis au monde. La résonance des témoignages des artisans interviewés n'a pas seulement atteint le cinéphile en moi. C'était plus fort que la simple découverte de notre cinéma. Dans ma tête, j'ai entendu cette voix me disant: "J'adore le Québec!". C'est ça. J'étais en amour. Et je le suis toujours.

C'est peut-être le nationaliste-romantique qui parle en ce moment. Peut-être que c'est plus moderne de se sentir cosmopolite, qu'en ce début de siècle il faut contenir ses excès patriotiques et penser à la fédération des peuples au sein d'un gouvernement mondial. Mais il y a quelque chose de viscéral à propos de l'amour de sa patrie que peu de sentiments accotent (l'amour tout court?). Et selon moi c'est nécessaire. Il faut être pourvu d'une identité forte et circonscrite avant de s'unir à d'autres.

Mon amour pour le Québec est multidimensionnel. Je ne sais vraiment pas par où commencer. Prenons le cinéma, puisque j'en ai parlé plus haut. Je serais curieux de vous entendre me nommer plus de 5 pays de 6 millions d'âmes ayant un cinéma d'un tel calibre et d'une telle vitalité. On vole la vedette aux Génies à toutes les années, Denis Arcand monte sur le stage aux Oscars, Xavier Dolan qui...ben vous le savez ce qu'il a fait. Et je ne parle pas de nos pionniers: les Perreault, Groulx et Godbout que je découvre tranquillement pas vite. On peut parler de musique aussi. Des groupes comme Malajube qui vendent des disques au Japon et qui font parler d'eux dans Rolling Stone. Coeur de Pirate qui remporte trois trophées dont celui de meilleure chanson aux Victoires cette année. Jean Leloup, Daniel Bélanger, Arcade Fire, Chromeo, Robert Charlebois, Félix Leclerc, A-Trak, Oliver Jones, Karkwa, Tiga, Arianne Moffat, Pierre Lapointe, Champion. Non, je ne parlerai pas de Céline. Les Anglais savent faire de la musique et les Français ont le cinéma. Je pense qu'on peut se targuer d'exceller dans les deux domaines.

Je n'ai pas fini. La mort récente de deux personnes qui à première vue ont peu en commun m'ammène à vous parler d'autre chose. Michel Chartrand et Marcel Simmard-documentariste que je ne connaissais malheureusement pas avant qu'il ne s'enlève la vie. Deux individus qui sont à mon avis des emblêmes de ce que je pense être notre obstination pour la justice, mais aussi de notre côté battant. Des gens qui donnent corps et âme pour que notre monde ait un peu plus de bon sens. Comprenez-moi bien, ce n'est en aucun cas exclusif au Québec. Ce qui nous rend particulier par contre, c'est que nous nous battons quotidiennement pour nous garder la tête hors des sables mouvants linguistique et culturel qui nous entourent. Je me sens extrêmement fier de faire partie de cette résistance. Ça me donne un puissant sentiment de dignité.

On entend souvent parler de complaisance au Québec, d'impossibilité d'avoir des échanges musclés et des opinions tranchées. Personne n'est parfait. Moi, je le vois plutôt d'un autre angle. À défaut d'avoir des combats de béliers perpétuellement, nous avons des émissions qui font place aux discussions intelligentes, qui donne une tribune à la critique et qui innovent. Je pense aux Francs-Tireurs, au magazine Voir, à Marie-France Bazzo, à C'est bien meilleur le matin, à La fin du monde est à 7 heures et j'en passe. Nos fictions, elles, sont aussi inventives qu'originales. Pensez à Un gars, une fille, Minuit le soir, Les Bougons etc. Si vous n'aviez pas encore remarqué, c'est le post des énumérations. Compte tenu des budgets dont nous disposons et des adversaires que nous avons, nous réalisons l'impossible, . Télé-Québec vs. CBS, c'est David vs. Goliath. Ou moi en ski dans les bosses contre Jean-Luc Brassard.

On a aussi le Cirque du Soleil et Robert Lepage. C'est comme Xavier Dolan, rien à rajouter.

Vais-je m'arrêter? Ça fait déjà un bon bout de temps que je me casse la tête pour mettre en mots ce que je ressens quand je pense à mon pay... ma province s'cusez. C'est gros comme sujet une identité. En même temps, j'ai l'impression que je n'en suis qu'à l'introduction. Ça vibre en-dedans. Allez, on lève tous nos verres! Et faisons un effort pour que tout ce dont j'ai parlé existe encore dans cinquante ans. Ça serait dommage qu'on devienne une province reculée de l'Empire.

16/04/2010

15/04/2010

Cousins oui, mais frères, pas sûr.

En entrevue aux Francs-tireurs, Gilbert Rozon évoque sa rencontre avec Charles Trenet qui un jour lui a dit ceci:

"Les Québécois, vous pouvez être acceptés, mais vous ne serez jamais admis par les Français."

Gilbert Rozon, qui vit à Paris depuis un certain nombre d'années nous dit ensuite qu'il se sent toujours folklorique auprès de nos cousins.

Quelques-unes des personnes que je fréquente en ce moment n'ont tout simplement aucune retenue quand vient le temps de rire bruyamment de mon accent. Bon, les cons, faut les pardonner. Ceux qui ont eu une éducation décente savent canaliser leur étonnement face mon vocabulaire en taquineries...répétées. Une chose qui m'a fasciné c'est quand on m'a dit que c'était nous qui avait un accent alors qu'eux parle un français normal. S'cusez, vous avez bien dit normal. Ça n'existe pas un accent normal. Difficile de ne pas voir un peu d'aveuglement chauviniste là-dedans.

On ne peut nier qu'une réelle fraternité existe entre les deux peuples. Dès qu'on s'ouvre la bouche, c'est automatiquement le "Québécois?" et un sourire chalheureux. Reste que le feeling dont parle Rozon ne s'effacera jamais vraiment. Il y a sûrement un peu de susceptibilité du Québécois-désireux-de-se faire-valider-par-son-grand-frère-cool. En d'autres mots, un complexe d'infériorité. C'est comme toutes les relations: chacun y est pour quelque chose.

13/04/2010

Qui remplacera Michel Chartrand?


En entrevue à Paul Arcand:

-PA: Diriez-vous que les compagnies pétrolières c'est pire que l'industrie pharmaceutique?
-MC: Ben non c'est pas pire que l'industrie pharmaceutique parce que l'industrie pharmaceutique c'est des besoins que t'as besoin pour te guérir.


10/04/2010

Une pièce de théâtre d'école basée sur Scarface? Why not?




"Everything was better back when everything was worse"

Retour sur mon post "Médecin ou pompier?".

D'abord Barry Schwartz est mon nouveau gourou. Je vous supplie d'écouter la vidéo sur son essai. Jamais vingt minutes n'auront autant changé votre vision du monde. Bon peut-être pas...

Selon Schwartz, la surabondance de choix ne fait pas que compliquer nos décisions au supermarché et au restaurant -ce que je baptiserais humblement "l'angoisse du menu". Elle est une des causes de l'explosion de dépressions et de suicides dans les dernières années! Je suis autant troublé que convaincu par cette idée.

Aussi, je trouve brillante son utilisation des concepts d'économie dans son analyse. L' Optimum de Pareto par exemple.

Par la suite, si vous voulez savoir pourquoi on en est arrivé à une telle surabondance de choix, Malcolm Gladwell disserte sur la sauce à spaghetti. Une fois de plus, passionant.

Allez! Lâchez votre Playstation, votre compte Facebook ou Call-TV. C'est le temps de s'ouvrir l'esprit un peu.

08/04/2010

Faire de l'alchimie au quotidien

Je déteste la marche. C'est trop lent pour franchir la distance séparant A et B. Ça donne l'impression que B est en fait Z. Tellement de technologies nous permettent d'aller plus vite: un skateboard, un vélo, un Maglev. Je comprends encore moins le concept de "prendre une marche". Délibérément perdre du temps à ne rien faire en avançant lentement sans destination précise. Telle serait ma définition de cette activité ennuyante.

Les plaisirs sont souvent inespérés. Tantôt, j'ai décidé de transformer le plomb en or. Les interminables minutes de marche qui me séparaient de mon chez moi me déprimaient alors que je n'avais même pas réglé l'addition. Puis j'ai pensé à mon père qui dévore ses livres en marchant sur la plage en vacance. Pourquoi ne pas l'imiter? Je n'avais qu'à éviter les rues passantes pour pouvoir lire en paix sans jamais décoller les yeux de mon livre. Ce que j'ai fait. Les vingt minutes de souffrance vive se sont transformées en quarante-cinq minutes de bonheur total.

À chaque coin de rue son paragraphe, à chaque rue son chapitre. Chacune des marches des escaliers que j'ai montés et descendus a été foulée tour à tour par mes deux pieds. J'étirais au possible le temps qui m'était alloué par la lumière pour traverser la rue. Le tout a culminé devant ma porte d'entrée avec la finale renversante de mon roman.

Changement de sujet. J'ai scruté ma pile de livre bien garnie en rentrant. Ça fait deux ans que je suis impatient de lire Cultural Code du psychanalyste-imposteur. Je pense que je vais le laisser accumuler encore un peu de poussière. Vous irez lire ce que le toujours très pertinent Steve Proulx en dit.

07/04/2010

Médecin ou pompier?

Disons que j'ai besoin de jeans. Je porte le même modèle de chez Gap depuis les dix dernières années. Bleu pâle, coupe anonyme, deux jambes, une fermeture éclair. Mes goûts modestes font de moi un extraterrestre en matière de tendances-pantalons. Nous sommes en 2010 et le nombre de modèle de jeans a maintenant atteint les dix chiffres. Moi je me croyais heureux avec mon modèle périmé. Mais le vendeur hyperactif au micro à l'oreille me fait découvrir des nouvelles teintes, une coupe mieux ajustée et un tissu plus confortable. J'achète le modèle suprême.

Je reviens deux ans plus tard, espérant trouver mon modèle pour remplacer ma vieille paire.

"Monsieur, ça fait déjà huit saisons qu'on les fait plus ceux-là."

Déception. Je dois m'en trouver des nouveaux. Mes exigences sont maintenant plus élevées. Non seulement j'ai connu le jeans suprême, mais je sais ce que c'est trouver mieux. Le voilà le piège.

C'est un des exemples dont se sert Barry Schwartz pour illustrer son propos dans son nouvel essai, The Paradox of Choice: Why More is Less. La thèse, grossièrement résumée, est la suivante: la liberté de choisir que nous offre nos sociétés nous fait plus de mal que de bien. Le capitalisme y est pour beaucoup. Sans lui, comment en serait-on arrivé à des supermarchés qui nous offrent autant de marque de yogourt qu'il y a d'étoiles dans la Voie lactée. Deux de mes scènes fétiches expriment à merveille cette absurdité: Adam Sandler qui fait son marché dans Punch-Drunk Love, et Jeremy Renner (le personnage principal) au supermarché en permission dans The Hurt Locker. À force de se faire offrir mieux, plus gros, plus fort, plus meilleur, on peut en perdre la tête. Où est la fin? D'ailleurs, on l'entend souvent cette question-là à propos du capitalisme par les temps qui courent.

La vie est malheureusement -ou heureusement, à vous de choisir- faite de choix plus déchirants que de trancher entre Activia-Extrême ou Minigo-Atomique. Genre, faut choisir entre acteur, médecin ou pompier si on veut payer l'hypothèque. C'est là que ça peut réveiller l'angoissé en vous.

Parfois, je me dis que j'aurais aimé être né sur une ferme laitière en 1832. Mon destin aurait été inscrit en gras dans mon ADN: j'aurais été le successeur de mon père fermier. Produire le meilleur lait qui soit aurait été mon quotidien. Peut-être envisager une participation à la compétition biennale du meilleur fromage du comté avec un peu d'audace. Bon l'exemple est un peu radical. Je suis très heureux d'avoir la possibilité d'échapper à un chemin tracé d'avance. Juste en écrivant ça, je me sens coupable en pensant aux millions d'enfants qui n'ont pas ma chance. Et leurs parents qui se battent pour qu'ils aient les choix qui me sont offerts.

N'en reste pas moins qu'il y a une part de mirage dans le fait de penser que plus de choix mène nécessairement à la félicité. Il est absolument certain qu'on doive se réjouir de l'abondance que nous offre la société occidentale. N'est-ce pas ce que tout le monde souhaite, choisir ce qu'il y'a de mieux pour soi? Trouver sa voie, sa vocation, ou...le jeans ultime. Mais ça ne veut pas dire que ce choix est gratuit. On paye tout le temps.