17/05/2012

La fin de l'Histoire?

Un jour dans l'auto, j'ai dit à ma mère  que je l'enviais d'avoir été témoin de grands événements qui figuraient maintenant dans les livres d'histoire. Je ne vivrais jamais le "À la prochaine fois" de Lévesque, la chute du mur de Berlin, l'Expo, l'euphorie collective de ces grands moments que nous donne l'Histoire au compte-goutte. Hélas, parfois, les situations dont nous sommes les spectateurs nous serrent la gorge. Que dire de la Loi des mesures de guerre, de Rodney King qui se fait tabasser en direct à la télévision ou de la Yougoslavie qui implose? Pour le meilleur et pour le pire, on ne dit pas "coupé!" à l'Histoire.

La cuvée de mes vingt-cinq premières années sur terre semble être bonne. J'aurai été témoin, entre autres, du jour où quatre avions nous ont fait entrer dans le 21e siècle, et j'aurai sabré le champagne (Blanquette de Limoux) en voyant apparaître Barack Obama et sa famille au parc Grant le soir de son triomphe.

Ce qui se passe aujourd'hui sera consigné dans le dossier "histoire" avec une lettre majuscule.
En une du Devoir le surlendemain du 22 mars, on se demandait si la manifestation monstre allait devenir un "moment politisateur". "Ces moments soudent la mémoire collective de ceux et celles qui les ont vécus (...) Ce type d'événement, de débat, provoque presque instantanément, chez une génération, un éveil à la vie publique, à la décision politique collective". Bien sûr, on ignorait qu'il y allait avoir beaucoup, beaucoup plus que le 22 mars.

Le 11 mai, René Martineau, psychologue, s'inquiétait de ce qu'était devenu le conflit initial: un sociodrame. "Le conflit n’est pas celui des « autres ». Il touche à la fois diverses problématiques à l’intérieur de chacun de nous et divers enjeux entre nous."

Jamais je n'avais discuté de désobéissance civile et d'état de droit avec des amis en craignant que les débats virent en empoignades. La dernière fois, c'était à propos de Gandhi aux ptites heures du matin et tout le monde s'aimait.  Les discussions enflammées se sont additionnées depuis des semaines. Je connais des gens qui ne parlent plus à certains de leurs amis. RDI n'a pas arrêté le hamster, parce que c'est précisément son mandat de ne pas s'arrêter, surtout quand il y en a autant à se mettre sous la dent. Étudiants et policiers se sont affrontés dans les rues. Les justes, présents dans les deux camps, ont tenté tant bien que mal de contrer ce qui est devenu une comédie tragique. Le sociodrame l'a-t-il emporté sur le moment politisateur? La conscientisation nécessite-t-elle un drame préliminaire? Il serait dommage qu'autant d'hostilité alimentée par des médias névrotiques nous fassent répondre oui à la première question.

Il y a cinq jours, une ministre nous annonçait qu'elle laissait son siège de députée en retenant ses larmes. On sentait hier soir la frustration maîtrisée des leaders étudiants, celle de Léo Bureau-Blouin surtout, qui jamais n'a eu une hésitation en condamnant fermement et avec éloquence cette loi dont on peine à trouver le sens. Nous, j'inclus les 7 979 663 Québécois, sommes à bout de souffle. Moi qui a vécu toutes ces semaines dans l'oeil du cyclone, qui a jasé avec mes profs et mes collègues, je peux témoigner de tous ceux qui ont été écorchés et qui sont estomaqués par la nouvelle d'hier soir. J'ai vu l'Histoire se faire devant moi, intensément. Et j'ai peur de ce qu'elle nous réserve.

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