01/09/2010

O.K. Boss

Rolland a les bras couverts de tatoos. Contrairement aux autres employés de la cuisine, certains hispanophones, d'autres jeunes talents à peine sortis de l'école d'hôtellerie, Rolland parle un français qui laisse croire qu'il n'est pas resté longtemps sur les bancs d'école. Il machouille les mots plus qu'il ne les prononce. Il est à mi-chemin de la cinquantaine, mais on pourrait lui donner dix ans de plus et être certain de ne pas se tromper. Ses membres et sa tête sont usés par le temps. Les soixantes heures de sa semaine de travail, il les passe cloîtré dans sa plonge, entre deux gratte-ciels d'assiettes et un bazar de verres et d'ustensiles sales. Rolland a l'âge de mes parents, qui travaillent non loin du restaurant situé au coeur du quartier des affaires.

Faire la vaiselle de cent vingt-cinq personnes est un métier ingrat, je n'apprends rien à personne. Les ustensiles sales baignent dans une soupe de Chianti, lait tiède et eau pétillante, le bruit, la chaleur et la vapeur sont accablants, le rythme, infernal. C'est un métier pour lequel on devrait se dépêcher de créer les premiers robots intelligents. Le poste de Rolland est la plupart du temps occupé par des Indiens, Maghrébins ou encore Sri Lankais qui n'ont pu trouver mieux en arrivant ici. Eh oui, ce n'est pas qu'un cliché. Qu'a-t-il fait pour n'avoir aucune autre option à son âge que de se retrouver dans pareille merde. Écorché par le jeu, un problème de consommation, ou simplement la vie qui n'a pas été généreuse avec lui? Sais pas. Une chose est sûre, on ne choisit pas ce métier-là. Surtout à son âge qui devrait être celui de l'épanouissement professionnel et d'un certain confort. Surtout quand on est entouré de gens fringants faisant quatre, cinq fois son salaire et ayant trente ans en moins.

Ce soir, Rolland m'a envoyé chier parce que je ne poussais pas les assiettes assez loin pour qu'il puisse les atteindre. J'en étais encore à apprendre l'abc du fonctionnement du restaurant, je n'avais pas toute mon assurance. Son sermon m'a un peu ébranlé. Sûrement que d'autres l'auraient à leur tour envoyé chier et lui auraient fait comprendre que c'est eux qui mènent. Ils n'auraient pas eu complètement tort. Seulement, moi, ça m'en aurait pris plus qu'à l'habitude pour marquer mon territoire. Parfois, prendre un coup même s'il est injustifié, ça peut s'apparenter à du respect.

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