09/08/2010

Les outsiders

Je n'ai jamais rencontré un seul supporter de Berlusconi. La grossièreté scandaleuse du personnage est tellement admise et consensuelle que je n'hésite plus à poser de questions concernant les allégeances politiques des Italiens à qui je parle.

Pourtant, un mystère demeure: pour gouverner, il faut des votes, et donc des partisans-on m'a toujours dit que j'étais très cartésien. J'ai demandé récemment à mon ami de Rome qui votait pour Il Cavaliere, mais surtour pour quelles raisons ils le faisaient. La réponse fut déconcertante, décourageante. Selon lui, la politique emmerde les électeurs de Milan à Palerme. Les gens préfèrent voter pour un personnage flamboyant, pour un dirigeant qui à défaut d'avoir des idées et un minimum d'intégrité va donner un bon spectacle. Décourageant je vous disais. Je m'en suis tenu à cette explication qui me paraissait extrêmement convaincante; franchement, je ne peux imaginer un autre candidat qui égalerait le bouffon milliardaire. En termes de spectacle, c'est un broadway cinq étoiles, ou une tragédie grecque, à vous de choisir.

Imaginons un scénario complètement rocambolesque. Disons un ancien champion de culturisme autrichien. Il débute sa carrière dans des films de série B mettant en vedette des mitraillettes automatiques, des pitounes et lui qui jette des couteaux et des regards intimidants à ses ennemis. Sa carrière se résume à des rôles si stupides mais parfaitement joués qu'on se questionne sur le quotient de l'acteur lui-même. C'est le même homme qui quelques années après avoir inscris son nom sur le Walk of Fame finit par gouverner l'État le plus populeux des États-Unis. Essayez d'imaginer l'irréalité de cette histoire. Moi non plus je ne peux la concevoir.

Si Arnold s'est faufilé contre toutes attentes jusqu'au siège de gouverneur de Californie, c'est que les électeurs s'emmerdaient autant que leurs semblables italiens. Dans l'isoloir, ils ont sûrement dû se dire à quel point ça serait cool que Terminator soit à la tête de leur État. Parce que les autres inconnus, sont plates, on s'en fiche. Si la gauche comme la droite répètent le même discours, si la politique ne règle plus les problèmes, pourquoi ne pourrait-elle pas être divertissante après tout?

Pareil pour Laraque. Sa nomination est un autre signe de cette tendance de la politique-spectacle. De l'érosion du débat d'idées. Certains me diront que sa notoriété fera avancer les Verts. Moi je pense que les indécis qui entendront parler l'ancien goon des Canadien sauront pour qui ne pas voter. À Christiane Charette cet hiver, le numéro 17 faisait la promotion d'un documentaire sur le mauvais traitement qu'on inflige aux animaux. Je n'était pas vivant du temps de Brigitte Bardot mais je crois que les rhétoriques étaient du même niveau. C'était lamentable.

Le cas de Laraque est pareil à une différence près. Ce qui ne fera pas progresser les siens, c'est qu'il n'a tout simplement pas la prestance du politicien. La prestance, l'image, c'est ce qui a permis aux deux autres de se faire élire. C'est malheureux pour lui, mais on ne peut s'enlever de la tête l'image de la sympathique brute qui cogne avec un plaisir réjouissant sur ses rivaux.

Maintenant Wyclef. Sans le chemin tracé par ses prédécesseurs, on aurait trouvé saugrenu qu'un rappeur multimillionnaire se propose pour sauver son pays de l'enfer. Pourtant, son élection n'a rien d'impossible. Même que plusieurs observateurs lui donnent de bonnes chances de gagner. Comprenez-moi bien, je ne mets pas les scènes politiques d'Haïti, d'Italie, du Canada et de la Californie dans le même panier. Seulement, il est évident que les moeurs politiques ont changé. Un peu comme les humoristes qui s'inventent des qualifications, des outsiders prennent la place des politiciens pour le meilleur, mais surtout pour le pire.

1 commentaire: