24/08/2010

Main dans la main

Les mots accessoire, accompagnement et détail ont des définitions qui contredisent ce qu'ils sont réellement. Que serait un carré d'agneau au romarin sans son gratin dauphinois, une chemise de designer sans ses boutons de manchettes? De même, la tête d'affiche ne peut exprimer tout son talent sans ceux qui l'entourent, du trompettiste aux choristes.

Poignante dans Babel, réjouissante dans Amélie Poulain, la musique des grands films joue souvent un rôle crucial, parfois même le premier. La négliger peut être fatal à une oeuvre, j'en suis convaincu. L'héritage des films qui nous marquent est double. Ils nous lèguent personnages et scènes d'anthologie, mais aussi leur musique, qu'on écoutera en boucle pour se replonger dans leur magie à chaque fois.

À mon avis, on peut départager deux grands types de trame sonore: la compilations de hits, manière Forrest Gump, et celui beaucoup plus répandu qui donne à un film son ambience, disons l'oeuvre entière de Woody Allen. Dans les deux cas, impossible d'imaginer ce que seraient ces long-métrages sans la musique qui les "accompagne." Comment, en effet, Robert Zemeckis aurait-il pu réalisé une fresque des années d'après-guerre aussi vibrante sans l'aide de Joan Baez, des Stones et d'Aretha Franklin? Comment Allen aurait-il pu apporter cette touche de légèreté si singulière et essentielle aux tourments de ses personnages sans le jazz de la Nouvelle-Orléans?

La musique et le cinéma sont si intimement liés qu'on peine parfois à les dissocier. Une chanson nous mettra instantanément une scène en tête, imaginée ou existant réellement, et des images dicteront une ambience sonore. Parlez-en à Miles Davis à qui on confia la tâche de composer la trame sonore d'Ascenceur pour l'échaffaud. L'histoire allait contribuer à la légende du personnage: le trompettiste visionna le film une première fois, puis enregistra la musique d'un coup pendant qu'il le regardait la deuxième fois. Bon, faut dire qu'il était pas pire avec sa trompette et qu'on le disait doué pour l'improvisation.

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Le programme de science politique de l'Université de Montréal comporte nombre de cours aux effets soporifiques, mais Politique comparée trône seul au sommet de l'ennui qui achève immanquablement l'étudiant dès les premières minutes. Pourtant, l'objectif du cours est très pertinent: comparer des sytèmes politiques pour faire ressortir leurs différences, et ultimement leurs forces et leurs faiblesses. Un exercice qu'on peut utiliser pour parler de musiques de films, ici celles de The Shining et de Les Sept jours du Tallion. Comparaison extrêment intéressante pour deux raisons. Primo, parce que je m'évertue à vous expliquer le rôle essentiel que joue la musique dans le cinéma. Secundo parce le premier film est parfaitement inconcevable sans sa musique obsédante alors que le deuxième n'en a pas-genre, pas une minute avec de la musique. Et que ce sont à mon avis deux films également insoutenables.

Le crescendo de folie qui s'empare de Jack Nicholson dans le film de Kubrick ne serait pas aussi intense ni même crédible sans les bruits de violons stridents et autres curiosités sonores. Pareillement, l'action de certaines scènes est insignifiante mais la musique, omniprésente, les rend effrayantes. Juste l'ouverture du film pendant laquelle on voit une voiture s'aventurer dans les montagnes enneigées fait peur. Podz, lui, a adopté l'approche inverse: le silence lourd cède toute la place aux images insupportables. À bien y penser, son choix ne contredit pas ce que j'avance plus haut. L'absence totale de musique est une trame sonore en soi. Parce que le spectateur est dérouté, qu'il ne peut se dérober aux images qu'on l'oblige à voir. Le silence le plus opressant qui soit.

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