07/04/2010

Médecin ou pompier?

Disons que j'ai besoin de jeans. Je porte le même modèle de chez Gap depuis les dix dernières années. Bleu pâle, coupe anonyme, deux jambes, une fermeture éclair. Mes goûts modestes font de moi un extraterrestre en matière de tendances-pantalons. Nous sommes en 2010 et le nombre de modèle de jeans a maintenant atteint les dix chiffres. Moi je me croyais heureux avec mon modèle périmé. Mais le vendeur hyperactif au micro à l'oreille me fait découvrir des nouvelles teintes, une coupe mieux ajustée et un tissu plus confortable. J'achète le modèle suprême.

Je reviens deux ans plus tard, espérant trouver mon modèle pour remplacer ma vieille paire.

"Monsieur, ça fait déjà huit saisons qu'on les fait plus ceux-là."

Déception. Je dois m'en trouver des nouveaux. Mes exigences sont maintenant plus élevées. Non seulement j'ai connu le jeans suprême, mais je sais ce que c'est trouver mieux. Le voilà le piège.

C'est un des exemples dont se sert Barry Schwartz pour illustrer son propos dans son nouvel essai, The Paradox of Choice: Why More is Less. La thèse, grossièrement résumée, est la suivante: la liberté de choisir que nous offre nos sociétés nous fait plus de mal que de bien. Le capitalisme y est pour beaucoup. Sans lui, comment en serait-on arrivé à des supermarchés qui nous offrent autant de marque de yogourt qu'il y a d'étoiles dans la Voie lactée. Deux de mes scènes fétiches expriment à merveille cette absurdité: Adam Sandler qui fait son marché dans Punch-Drunk Love, et Jeremy Renner (le personnage principal) au supermarché en permission dans The Hurt Locker. À force de se faire offrir mieux, plus gros, plus fort, plus meilleur, on peut en perdre la tête. Où est la fin? D'ailleurs, on l'entend souvent cette question-là à propos du capitalisme par les temps qui courent.

La vie est malheureusement -ou heureusement, à vous de choisir- faite de choix plus déchirants que de trancher entre Activia-Extrême ou Minigo-Atomique. Genre, faut choisir entre acteur, médecin ou pompier si on veut payer l'hypothèque. C'est là que ça peut réveiller l'angoissé en vous.

Parfois, je me dis que j'aurais aimé être né sur une ferme laitière en 1832. Mon destin aurait été inscrit en gras dans mon ADN: j'aurais été le successeur de mon père fermier. Produire le meilleur lait qui soit aurait été mon quotidien. Peut-être envisager une participation à la compétition biennale du meilleur fromage du comté avec un peu d'audace. Bon l'exemple est un peu radical. Je suis très heureux d'avoir la possibilité d'échapper à un chemin tracé d'avance. Juste en écrivant ça, je me sens coupable en pensant aux millions d'enfants qui n'ont pas ma chance. Et leurs parents qui se battent pour qu'ils aient les choix qui me sont offerts.

N'en reste pas moins qu'il y a une part de mirage dans le fait de penser que plus de choix mène nécessairement à la félicité. Il est absolument certain qu'on doive se réjouir de l'abondance que nous offre la société occidentale. N'est-ce pas ce que tout le monde souhaite, choisir ce qu'il y'a de mieux pour soi? Trouver sa voie, sa vocation, ou...le jeans ultime. Mais ça ne veut pas dire que ce choix est gratuit. On paye tout le temps.

2 commentaires:

  1. Je trouve que tu écris très bien! J'ai visionné aujourd'hui le reportage d'une pilule une p'tite granule sur l'anxiété dans lequel tu figurais dans le cadre de mon cours de psychologie. Je me suis reconnue à certains égards dans la description que tu avais faite. Es-tu arrivé à dompter la bête?

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  2. C'est drôle, je ne vais presque plus sur mon blogue, et encore moins sur un vieux texte comme celui-là. Oui j'ai dompté la chose. Puis-je te demander par curiosité quel est le cours qui diffuse l'émission?

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